Page 10 - TESTARD_Claude
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Cependant, la coalition s'avançait de toutes parts. Claude TESTARD assista à toutes
les batailles qui furent livrées, et il s'en livrait tous les jours. Lors des combats des
27 au 31 août 1813, il est blessé d'un coup de feu à l'aine. Il poursuit les combats à
Meissen, le 27 septembre 1813, puis les 4 et 5 octobre, il faisait preuve d'un rare
sang-froid et arrivait enfin dans les plaines de Leipzig, le 16 octobre suivant.
Un carré s'était formé, au milieu duquel se tenaient les officiers. Ces derniers ont
été sacrifiés pour protéger la retraite des régiments. Le désordre se met dans les
lignes, les rangs sont culbutés. Claude TESTARD, sans être atteint, reçoit presque à
bout portant un coup de pistolet d'un officier ennemi et le démonte d'un vigoureux
coup de sabre. Enveloppé de toute part, saisi à la gorge et presque étranglé, il est
fait prisonnier et déporté en Russie.
L'impossibilité de payer désormais sa rente le préoccupa plus que l'effroi de la
Sibérie. En partant pour un exil qui pouvait être sans retour, il vide ses poches, se
dépouille de sa montre, de tout ce qu'il possède, et, par l'entremise d'un ami,
l'envoie à sa famille comme l'indemnité d'une pension qui devait cesser. On
s'imaginerait difficilement comment il pouvait suffire à tant de générosité, si on
ignorait quels sacrifices il savait s'imposer. Un exemple… Capitaine, il logeait un
jour avec sa compagnie dans un vieux château, et, comme il ne badinait pas avec
la discipline, il se leva la nuit, suivant son habitude, pour s'assurer qu'il n'y avait
aucune infraction au règlement quand il aperçut un soldat agenouillé près d'un
ruisseau voisin. Il allait le punir lorsqu'il vit qu'il lavait sa chemise. "Tiens, se dit le
sévère mais bon capitaine, cet homme mériterait plutôt que je le récompense car
il me donne une leçon qui vaut bien quelque chose." Il en profita en effet. Quand
il s'était assuré que tout son monde dormait et qu'il était à l'abri de toute surprise,
il s'en allait à la prochaine rivière, et depuis, les comptes de la blanchisseuse furent
rayés de son modeste budget. Sa famille y gagna et sa propreté n'y perdit rien.
La propreté est une vertu du soldat, et sur ce point, pour lui-même comme pour
les autres, notre brave officier était si inflexible que son zèle faillit lui devenir
funeste. Souvent, il lui arrivait des conscrits de certaines provinces qui ne brillent
pas, même de nos jours, par leur réputation de propreté. Il les examinait toujours
lui-même, et s'il leur trouvait quelques traces de la malpropreté originelle, il les
faisait conduire à la rivière où ils étaient lavés et frottés. Ils n'entraient dans le
régiment que par la porte de ce nouveau baptême. Ces ablutions n'étaient pas du
goût de tout le monde. On sait d'ailleurs que la malpropreté, quand elle est passée
en habitude, finit par tenir au cœur autant qu'à la peau. Un des conscrits, ainsi
nettoyé contre son gré, résolut de se venger sur la vie de son officier, de la crasse
qu'il avait perdue. Son dessein, heureusement, fut connu de ses camarades qui y
mirent obstacle, car le régiment avait pour son chef autant de respect que
d'affection, comme le chef avait pour tout le régiment autant de sévérité que
d'amour.
er
Il est libéré et retrouve la France le 1 juillet 1814. A son arrivée à Paris, un de ses
anciens compagnons d'armes, mais qui avait quitté l'état militaire pour la
littérature, l'invita à dîner et, tirant de sa poche le manuscrit d'une pièce qu'il allait
livrer au théâtre "Tiens, TESTARD, ceci vaut mieux que des épaulettes !..." Celui qui
parlait ainsi n'est autre que M. VIENNET, aujourd'hui le patriarche des lettres