Page 12 - TESTARD_Claude
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même et était demeuré avec la simple décoration de Chevalier. Le noble et bon
                 général de LAVERDERIE – qu'il me pardonne de le nommer – en venant se fixer à
                 Seine-Port, devait être, à son égard, l'instrument de la providence.

                 Il sut apprécier ce digne vieillard, mit à son service l'ascendant que lui donne sa
                 haute position, obtint pour lui la Croix d'Officier de la Légion d'Honneur, répara de
                 toute manière à son égard, la négligence des hommes et nous ne savons ce qu'on
                 doit admirer le plus, ou le dévouement du bienfaiteur ou la modestie du protégé.

                 Cependant, tout finit, en l'espace de moins d'une année, Madame TESTARD et sa
                 sœur étaient descendues au tombeau. Le courage, à l'armée, c'est de marcher en
                 avant,  d'affronter  la  mort  le  premier.  Dans  la  vie,  la  grande  épreuve  c'est  de
                 survivre aux autres et de voir tomber, avant soi, ceux qu'on aime. Notre vieil ami
                 devait  encore  subir  cette  épreuve  et  il  eut  le  courage  de  la  supporter  avec
                 résignation. Mais s'il avait donné du cœur, il lui en fut rendu. Son isolement trouva
                 une consolation dans la tendre affection de M. et Mme BOULLIER, dans le généreux
                 intérêt  de  Mme  veuve  DARTOIS,  et,  surtout,  dans  le  dévouement  filial  de  son
                 neveu,  M.  MASSIQUOT,  qui,  sacrifiant  ses  affaires  à  Paris,  vint  avec  sa  femme
                 s'asseoir pendant plusieurs mois auprès de son lit, et acquitter, ainsi, à son égard,
                 la dette de toute la famille.
                 Il faut l'avouer pourtant, les vertus de M. TESTARD avaient eu le malheur de n'être
                 pas  chrétiennes.  Enfant  d'un  siècle  sataniquement  ricaneur  et  effrontément
                 immoral,  élevé  pour  ainsi  dire  dans  les  camps,  alors  que  la  religion  était
                 stupidement regardée comme une faiblesse et persécutée comme une ennemie, il
                 en avait contracté une triste indifférence pour tout ce qui touche à nos immortelles
                 destinées. Ce n'est pas que jamais il a été impie, car l'impiété est fille ou d'un esprit
                 de travers ou d'un cœur corrompu, M. TESTARD n'était ni l'un ni l'autre !... Il en
                 aimait les cérémonies et souvent de grosses larmes roulaient dans ses yeux à la
                 vue d'une procession de la Fête-Dieu ou d'une première communion. Il sentait,
                 comme il l'a dit lui-même, qu'il y avait là quelque chose. Mais que ce quelque chose
                 est difficile à retrouver, quand on l'a perdu, et que les habitudes de toute la vie
                 nous en séparent ! On le retrouve néanmoins quand on prie, et M. TESTARD priait…
                 Chez  lui,  la  prière  se  faisait  en  commun  et  se  terminait  toujours  par  l'acte  de
                 contrition, toujours récité par le vieux colonel. Cette voix majestueuse et grave,
                 façonnée au commandement, et qui, alors, s'humiliait avec la confession de son
                 néant  et  l'espoir  de  son  pardon,  pénétrait  ceux  qui  en  étaient  témoins  d'un
                 religieux attendrissement, et ne pouvait manquer d'arriver bientôt jusqu'au cœur
                 de Dieu. C'était le jeudi Saint de 1860, je disais, en sa présence, qu'on se sentait
                 comme naturellement porté à la piété dans ces jours qui ont vu répandre le sang
                 précieux du Sauveur. Là-dessus, le vieux militaire se relève. "Eh bien ! Il ne faut pas
                 que ce sang ait été versé inutilement pour moi ! Monsieur le Curé, votre heure ? Je
                 veux  régler  mes  comptes."  Dans  l'accomplissement  de  ces  grands  devoirs,  si
                 consolants pour le cœur, il fut ce qu'il avait toujours été, sans affectation, comme
                 sans  respect  humain.  Un  Bourgeois  de  Seine-Port,  presque  son  compatriote,
                 ignorant ce qui se passait, vint alors le voir "Ma femme, s'écrie-t-il, dis-lui que je
                 me confesse, cela lui donnera peut-être la pensée d'en faire autant."
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